Zware fiscale fraude: de procedure “UNA VIA” en het principe “NON BIS IN IDEM”.

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Fraude fiscale grave : la procédure « UNA VIA » et le principe « NON BIS IN IDEM »
Ernstige fiscale fraude : de “una via” procedure en het “non bis in idem” beginsel


La loi du 5 mai 2019 « portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie et le Code pénal social », est entrée en vigueur le 3 juin 2019.

Cette loi au titre interpellant, dont le législateur Potpourri n° 54 a le secret, contient une multitude de dispositions en matière pénale. Elle prétend corriger certaines dispositions récemment prises ou encore adapter des dispositions existantes. Elle a été adoptée sur la base d’une proposition de loi faisant 377 pages déposée à la Chambre de représentants le 9 février 2019. Son adoption a donc été particulièrement rapide.

Notre attention est concentrée sur une double réforme importante portant sur le concept étatique appelé le principe « Una Via » ainsi que sur l’application du principe « Non Bis In Idem » en matière de fraude fiscale, réformes qui entreront en vigueur au plus tard le 1er janvier 2020 (art. 200 de la loi).

Le principe « Una Via » avait été introduit par la loi du 20 septembre 2012 « instaurant le principe « Una Via » dans le cadre de la poursuite des infractions à la législation fiscale et majorant les amendes pénales fiscales ».

En vertu de ce principe, il appartient soit à l’administration fiscale, par la voie administrative, soit au procureur du Roi, par la voie judiciaire, de s’attaquer à un dossier individuel de fraude fiscale.

Afin de mettre en œuvre ce principe, la loi a organisé un mécanisme de concertation dans le respect de l’article 151, § 1er de la Constitution garantissant l’indépendance du Ministère public. Cette concertation « permet à un fonctionnaire titulaire d’un grade de directeur ou d’un grade supérieur et à leurs collaborateurs de participer à une concertation avec le procureur du Roi s’agissant de l’approche de la fraude fiscale dans le cadre des phénomènes de fraude et des dossiers individuels, sans entraîner la nullité de l’acte de procédure (p. 6, DOC 53 – 1973/001). »

L’application du principe « Una Via » a ainsi pour but d’organiser efficacement la lutte contre la fraude fiscale dite grave en évitant le double emploi des moyens publics.

Se référant à l’arrêt du 10 février 2009 de la Cour européenne des droits de l’Homme (arrêt ZOLOTUKHIN c. RUSSIE), la loi du 20 septembre 2012 avait également renforcé, en faveur du contribuable, l’application du principe « Non Bis In Idem » en vertu duquel « on ne peut pas appliquer simultanément une sanction administrative et une sanction pénale[1] ». Ainsi, « si l’on opte directement pour la voie pénale, les administrations fiscales se borneront à constater l’impôt éludé sans imposer de sanction administrative (p. 7, DOC 53 – 1973/001) ».

Il est légalement interdit de cumuler une sanction administrative (à savoir des taxes, des accroissements d’impôt et des amendes fiscales, qui sont de nature répressive) et une sanction pénale. La loi avait par conséquent adapté les articles 444 et 445 du CIR 92 et l’art. 72 du Code TVA en ce sens (art. 3, 4 et 14 de la loi du 20 septembre 2012).

Ces dispositions vont néanmoins être annulées par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2014 (arrêt n° 2014-61).

En effet, la Cour constate que « l’infliction, par une décision définitive, d’une amende ou d’un accroissement d’impôt présentant, (…) un caractère pénal doit nécessairement, en raison du principe non bis in idem, conduire à l’extinction des poursuites subséquentes dirigées contre la même personne et à propos de faits qui sont en substance identiques. »

Or, les nouvelles dispositions critiquées permettent au ministère public de poursuivre pénalement le contribuable, même si celui-ci s’est déjà vu infligé définitivement une amende ou un accroissement, ce qui viole la Constitution :

“Le prononcé, même à titre définitif, d’une amende fiscale ou d’un accroissement d’impôt, à l’encontre du contribuable, n’a pas pour effet d’empêcher que celui-ci fasse l’objet de poursuites pénales subséquentes, voire qu’il soit renvoyé devant une juridiction de jugement, même lorsque les faits qui lui sont reprochés sont en substance identiques à ceux pour lesquels il a été condamné administrativement.

B.18.3. Le législateur a donc méconnu le principe non bis in idem en permettant au ministère public d’engager des poursuites pénales (en ouvrant ou en ne clôturant pas une information judiciaire ou en mettant en mouvement l’action publique) contre une personne qui a déjà fait l’objet, pour des faits en substance identiques, d’une sanction administrative, à caractère pénal, devenue définitive, ainsi qu’en autorisant que cette personne soit renvoyée, en raison de faits en substance identiques, devant une juridiction pénale ou, si cette juridiction était déjà saisie, en lui permettant de continuer l’examen de la cause. B.18.4. Il s’ensuit que les articles 3, 4 et 14 de la loi attaquée violent les articles 10 et 11 de la Constitution. »

Les arrêts C-524/15 Menci et C-537/16 Garlsson Real Estate rendus le 20 mars 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne, prenant la voie prise par la CEDH dans son arrêt A et B c/ Norvège du 15 novembre 2016 (n° 24130/11 et 29758/11), vont mettre en pièces, au profit des Etats, le principe « Non Bis In Idem » en tant que moyen de protection du citoyen.

Selon la CJUE, dans son arrêt Menci rendu en matière de TVA, l’article 50 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne, « doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle des poursuites pénales peuvent être engagées contre une personne pour omission de verser la TVA due dans les délais légaux, alors que cette personne s’est déjà vu infliger, pour les mêmes faits, une sanction administrative définitive de nature pénale au sens de cet article 50, à condition que cette réglementation :

  • Vise un objectif d’intérêt général qui est de nature à justifier un tel cumul de poursuites et de sanctions, à savoir la lutte contre les infractions en matière de TVA, ces poursuites et ces sanctions devant avoir des buts complémentaires,
  • Contienne des règles assurant une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées, d’un cumul de procédures,
  • prévoie des règles permettant d’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées soit limitée à ce qui est strictement nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée (arrêt Menci, point 63 ; voyez également le point 46 de l’arrêt Garlsson Real Estate) ».


Notre Cour de cassation a rapidement pris ce nouveau cap en sanctionnant le juge qui, faisant une application trop rapide du principe en question en faveur du justiciable, n’aurait pas examiné in concreto si les poursuites menées par différentes autorités ne recherchent pas des buts complémentaires ayant pour objet des aspects différents d’un même comportement infractionnel (Cass. 22 novembre 2018, C.17.0126.F).

Le législateur va profiter de l’aubaine en introduisant par la loi du 5 mai 2019 une double réforme qui pourrait non seulement avoir un impact non négligeable sur les droits de la défense du contribuable, mais aussi avoir des conséquences financières considérables pour lui. Elle aura également un effet important sur la charge de travail et les connaissances requises du juge pénal.

Par cette loi, le législateur confirme le mécanisme de concertation introduit par la loi du 20 septembre 2012, tout en le développant.

L’administration fiscale aura l’obligation de dénoncer au procureur du Roi les cas de fraude fiscale grave, organisée ou non.

Il appartiendra au Roi de définir, par un arrêté royal, les critères permettant d’identifier les cas de fraude fiscale grave. Ces critères pourraient concerner des faits de fraude « sérieuse » et organisée, des faits fiscaux liés à des infractions graves en matière économique, sociale, de corruption ou de terrorisme.

Le procureur devra ensuite se concerter avec l’administration, et éventuellement la police, pour décider ensuite de la voie à suivre : soit il poursuivra pénalement le contribuable en ouvrant une instruction par exemple, soit il laissera à l’administration le soin de récupérer l’impôt dû, augmenté des éventuelles sanctions administratives.
Dans la première hypothèse, l’administration aura la possibilité de se joindre à l’action pénale.

Ainsi, l’article 83 de loi du 5 mai 2019 a inséré un article 4bis dans le Titre préliminaire du Code de procédure pénale visant à faciliter le recouvrement fiscal de l’impôt impayé en permettant à l’administration fiscale de se greffer sur l’action pénale dirigée par le procureur du Roi contre le prétendu fraudeur pour réclamer, par une action dite « autonome », la dette d’impôt.

L’action est dite « autonome » car le débiteur, éventuellement tenu solidairement, de la prétendue dette fiscale pourra être cité devant le juge correctionnel, le cas échéant avec d’autres prévenus (accusés de terrorisme par exemple), même s’il n’est ni l’auteur ni le complice de l’infraction de base ayant justifié les poursuites. Ce débiteur sera condamné civilement par le juge correctionnel, même en cas d’acquittement des prévenus ou d’extinction de l’action publique par la prescription.

Contrairement à ce qui se passe dans une procédure pénale classique où le juge correctionnel doit se déclarer incompétent pour connaître de l’action civile lorsqu’il prononce l’acquittement des prévenus ou lorsqu’il déclare l’action publique éteinte par prescription, le juge correctionnel restera compétent pour connaître de l’action « autonome » de l’administration fiscale.

Pour autant qu’il soit régulièrement saisi, le juge correctionnel aura l’obligation d’établir la dette d’impôt due par le débiteur (solidaire) et prononcera une décision ayant force exécutoire quant à l’impôt non payé ou éludé.

Ainsi, selon les travaux préparatoires, l’administration fiscale n’aura pas l’obligation d’enrôler préalablement l’impôt.

Dans cette procédure, l’administration n’est juridiquement pas une partie civile réclamant la réparation de son dommage puisque son action trouve son fondement non dans une faute pénale du débiteur en lien causal avec un éventuel préjudice, mais dans la loi elle-même, c’est-à-dire dans ce nouvel article 4bis.

Cette procédure est inspirée de la procédure en matière de douanes et accises, celle-ci existant depuis l’an 1822.

La deuxième réforme importante introduite par la loi du 5 mai 2019 concerne la sanction financière du contribuable reconnu coupable pénalement : des sanctions administratives et des sanctions pénales doivent dorénavant être cumulées, et constitueront la peine applicable.

Le législateur souhaite que l’administration fiscale puisse, non seulement intenter une action civile devant le même juge (c.a.d. le juge correctionnel) aux fins d’obtenir le paiement de l’impôt impayé ou éludé, mais aussi aux fins d’obtenir la condamnation au paiement des additionnels, des accroissements, des amendes fiscales et des autres accessoires y afférents.

Le nouvel article 29bis du Code d’instruction criminelle, introduit par l’article 4 de la loi du 5 mai 2019, prévoit en son alinéa 2 que « lorsque l’administration fiscale établit des impôts incluant les centimes et décimes additionnels, les accroissements et les amendes administratives et fiscales pour des infractions visées à l’alinéa 1er, cela ne constitue pas une entrave à l’action publique dans la mesure où le traitement fiscal et pénal des faits font partie d’un tout cohérent d’un point de vue temporel et matériel ».

La curieuse expression « un tout cohérent d’un point de vue temporel et matériel » vise manifestement à mettre l’application de la nouvelle législation en conformité avec la jurisprudence récente de la CJUE et de la CEDH, citée plus haut, concernant le principe du « Non Bis In Idem ».

Ainsi, l’État doit établir de manière probante que les procédures intégrées sont unies par un lien matériel et temporel suffisamment étroit, ce qui signifie :

  • “non seulement que les buts poursuivis et les moyens utilisés pour y parvenir doivent être en substance complémentaires et présenter un lien temporel,
  • mais aussi que les éventuelles conséquences découlant d’une telle organisation du traitement juridique du comportement en question doivent être proportionnées et prévisibles pour le justiciable (voyez le résumé publié par la CEDH de son arrêt A et B c/ Norvège du 15 novembre 2016 (n° 24130/11 et 29758/11),.

A défaut de procédure intégrée organisée par la loi, une procédure pénale qui suivrait une procédure administrative, ou vice-versa, pourrait être perçue comme une réouverture de procédure en violation du principe « Non bis in idem » (en ce sens, arrêt de la CEDH (GC) du 19 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, n° 54012/10).

Le législateur belge considère dorénavant que le cumul de peines pénales et de sanctions fiscales (des taxes, accroissements d’impôt et amendes fiscales à caractère répressif), doit avoir lieu dans le cadre de la procédure UNA VIA, sous le seul tempérament qu’il faille prendre en compte, lors de la détermination de la sanction pénale, de l’importance de la sanction fiscale (p. 4 DOC 54 3515/001).

Le législateur a par conséquent inséré dans le Code des droits de successions, le Code des droits et taxes divers, le Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe, le Code TVA et le CIR 92 des dispositions selon lesquelles « afin d’éviter qu’un condamné soit soumis à une peine déraisonnablement lourde, le juge tient compte, dans la fixation de la peine, » des amendes administratives, fiscales, et accroissements d’impôt dus (voyez les art. 86, 107, 109, 111 et 118 de la loi du 5 mai 2019).

Le juge correctionnel aura donc un large pouvoir souverain d’appréciation. La notion de « peine déraisonnablement lourde » n’est pas claire. A ce sujet, rappelons que selon la CJUE, « s’agissant du respect du principe de proportionnalité, celui-ci exige que le cumul de poursuites et de sanctions prévu par une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés par celle-ci ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voyez l’arrêt Garisson Real Estate, point 48).»

Rappelons également que les sanctions ne peuvent pas aboutir à une situation de facto de mort civile.

En matière de confiscation, la loi prévoit dans les différents codes précités que « l’article 42, 3°, du Code pénal n’est pas d’application aux avantages patrimoniaux tirés directement des infractions fiscales, aux biens et valeurs qui leur ont été substitués et aux revenus de ces avantages investis si l’action de l’administration fiscale est déclarée fondée et a donné lieu à un paiement effectif de l’entièreté de cette action ».

Cette nouvelle législation peut avoir des conséquences lourdes pour les contribuables condamnés. Leur situation sera évidemment bien pire que celle dans laquelle ils pouvaient se retrouver sous l’empire de la loi (partiellement annulée) du 20 septembre 2012. La philosophie de cette dernière, simple et claire, a été jetée aux orties pour être remplacée par un mécanisme qui ressemble à un lourd et inébranlable broyeur.

Comme toute réforme, la nouvelle réforme est bien évidemment critiquable.

D’un point de vue civil, le contribuable « innocent », qui pourrait par hypothèse se retrouver dans une affaire pénale pour des infractions graves auxquelles il n’a nullement participé, risque de perdre son recours administratif préalable en matière fiscale. N’est-il pas discriminé ? Ses droits de la défense seront-ils respectés ?

Aussi, d’un point de vue pénal, croyant créer « un système cohérent et intégré » qui permettrait le cumul de sanctions fiscales et pénales dans le respect du principe « Non Bis In Idem », le législateur ne viole-t-il pas ledit principe ? En effet, même si le juge du fond devra tempérer la seconde sanction en prenant en considération l’importance de la première (mais sur base de quels critères ?), le condamné restera doublement puni pour des faits et des comportements totalement identiques, les sanctions poursuivant d’ailleurs chacune exactement le même objectif.

La procédure « Una Via » et l’application du principe « Non Bis In Idem » nouvelle version, formant un « tout cohérent et intégré », sont-ils conformes aux conditions cumulatives retenues par l’arrêt Menci de la CJUE cité ci-dessus ? Le mécanisme ne viole-t-il pas par ailleurs le principe de la prévisibilité de la sanction qui pourrait être infligée au fraudeur pour qui la question se posera : cumul ou pas cumul ?

Pour répondre à ces questions, la CEDH a défini certains éléments d’appréciation dans son arrêt phare de A et B c/ la Norvège du 15 novembre 2016 :

  • « La sanction administrative que constitue la majoration d’impôt a une finalité générale de dissuasion, et elle vise aussi à compenser les ressources humaines et financières considérables consacrées par les autorités fiscales pour le compte de la collectivité aux contrôles et vérifications destinés à repérer les déclarations erronées.
  • La sanction pénale poursuit des fins non seulement dissuasives mais aussi répressives s’agissant de la même omission préjudiciable pour la société, et comporte un élément additionnel de fraude délictueuse.
  • Il est particulièrement important de constater que le juge interne a fixé les peines des requérants en tenant compte de ce qu’ils avaient déjà été lourdement sanctionnés par l’application de la majoration d’impôt.
  • La conduite de procédures mixtes, avec une possibilité de cumul de différentes peines, était prévisible au vu des circonstances et les faits établis dans le cadre de l’une de ces procédures ont été repris dans l’autre (voyez le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte de cet arrêt sur https://hudoc.echr.coe.int/).”

Des questions préjudicielles seront certainement posées.


Bruxelles, le 27 août 2019

Thomas DE NYS
Avocat associé

Contact : thomas.denys@skynet.be

[1] En vertu du principe général de droit « Non Bis In Idem », garanti par l’article 14, §7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nul ne peut être poursuivi ou puni une seconde fois en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif « conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Ce principe est également consacré par l’article 4 du Septième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, et, dans son champ d’application, par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, cet article ayant un effet direct en droit interne.

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