Projet de loi introduisant un nouveau Code pénal : un Code de la maltôte?
Wetsontwerp tot invoering van een nieuw Strafwetboek
Le 13 mars 2019, une proposition de loi instaurant un nouveau Code pénal a été déposée à la Chambre des représentants du Royaume belge (DOC 54/3651). Ce projet a été préparé à l’initiative de l’actuel Ministre de la Justice.
Le gouvernement étant en affaires courantes, le projet final n’a pas été relu par le conseil des ministres. Il a directement été déposé par deux représentants parlementaires. L’objectif avoué est que la proposition puisse servir de base de travail pour la prochaine législature.
L’éventuel mérite de la démarche est de placer le projet dans le débat démocratique, alors que toutes les réformes juridiques et judiciaires entreprises précédemment sous la 54ième législature, ne l’ont pas été. Malheureusement, à quelques jours des élections, force est de constater que personne n’en débat.
Pour le Ministre, le projet de nouveau Code pénal doit répondre « au sentiment de justice » et doit être une « adaptation aux mentalités actuelles » (voyez la page du site internet du Ministre à ce sujet : https://www.koengeens.be/fr/news/2019/03/18/un-code-penal-qui-repond-au-sentiment-de-justice).
A quoi sert le droit pénal?
Selon les auteurs du projet « une société fonctionnant de manière optimale doit aller de pair avec un mécanisme de poursuites pénales qui s’exerce lui aussi de façon optimale. À cet égard, il ne faut pas perdre de vue que dans le cadre du “vivre-ensemble”, l’interaction entre les membres constitue l’élément central. Si l’on applique ceci à la répression, cela signifie qu’une peine optimale est une peine équitable et effective (dans le sens d’efficace) pour tous les acteurs. »
L’objectif du droit pénal est décrit ici en quatre points :
- Il doit “exprimer la désapprobation de la société à l’égard de la violation de la loi pénale »;
- Il faut « promouvoir la restauration de l’équilibre social et la réparation du dommage causé par l’infraction »;
- Il tend à « favoriser la réhabilitation et l’insertion sociale de l’auteur »;
- Il doit « protéger la société.”
Une sanction pénale, qu’est-ce ?
Selon les auteurs du projet, « le droit pénal ne peut être synonyme de rétribution. Toute sanction ajoute de toute manière une souffrance, mais cela ne peut jamais être la seule finalité d’une société. Il faut également se concentrer sur l’objectif de la peine, à savoir la réhabilitation du délinquant et la restauration – symbolique ou non – de la situation telle qu’elle était avant que l’infraction soit commise. Il n’en demeure pas moins que vis-à-vis de certains condamnés, les objectifs de la peine visés ne seront peut-être jamais atteints et que la protection de la société doit dès lors prévaloir, ce qui ne peut alors que se traduire par une lourde peine privative de liberté. »
L’objectif du droit pénal s’exprime ainsi à l’aune du mécanisme répressif :
« Déterminer si les règles de droit sont en adéquation avec l’objectif poursuivi signifie finalement qu’il faut vérifier si le droit pénal propose bien dans tous les cas un mécanisme répressif adapté. On peut soutenir par exemple que certaines infractions, in casu, les contraventions, doivent être décriminalisées/dépénalisées. De manière plus générale, il faut également prévoir une place pour d’autres mécanismes de sanction (sanctions administratives, ordre de paiement émanant du parquet, règlement au civil, etc.). Pour ce faire, il sera recouru à l’“instrument de taxation afin de déterminer le caractère punissable des infractions”, développé par le service de la Politique criminelle.
Ceci étant exposé, de manière naïve pour certains, doctement pour d’autres, que propose le projet concrètement quant aux sanctions à infliger au citoyen reconnu coupable d’une infraction ?
Un élément marquant du nouveau Code en projet nous semble concerner la sanction pécuniaire.
Outre une éventuelle peine de prison, le citoyen, qu’il soit auteur, coauteur ou complice de l’infraction, pourrait être accablé des peines cumulées suivantes :
- une peine d’amende ou « geldboete » en néerlandais (pour rappel, le montant des amendes avait été augmenté de 33% dans le courant de l’actuelle législature) ;
- une peine de confiscation ou « verbeurdverklaring » de l’avantage patrimonial tiré de l’acte illicite s’il y en a eu un ; cette confiscation est obligatoire et elle sera en principe attribuée au Trésor public ;
- et, en sus de celle-ci, une « peine pécuniaire fixée en fonction du profit escompté ou obtenu de l’infraction » ou « een geldstraf vastgesteld op basis van het verwachte of uit het misdrijf behaalde voordeel ». Cette dernière a un caractère facultatif et concerne « en premier ordre les prévenus nantis qui ont cherché à s’enrichir en commettant des infractions ». Le montant de cette peine pourrait être égal au double ou au triple de l’avantage illicite confisqué (!).
Notamment grâce au concept appelé par l’Etat « UNA VIA », concept qu’Il ne manquera pas de continuer à développer (voir à ce sujet le projet de loi du 8 février 2019, DOC 54 3515/001), pourrait encore s’ajouter à ces sanctions : des amendes administratives en tout genre, des redressements fiscaux et autres majorations et cotisations sociales majorées. Cela pour autant que le principe ‘non bis in idem’, principe ayant reçu de nombreux coups de canif ces derniers temps, soit respecté.
A cela s’ajoute encore les quelques kopecks restants à distribuer aux éventuelles victimes qui se seraient constituées partie civile.
Le tout sera infligé dans le cadre d’une procédure judiciaire pénale dans lesquels les droits de la défense ont fait peau de chagrin ces dernières années.
Précisons que ce projet de sanction pécuniaire que nous épinglons se retrouve tant dans le projet de code établi par la Commission de réforme du droit pénal, que dans celui présentement commenté et déposé à la Chambre des Représentants sous l’impulsion du Ministre. Il y aurait donc un consensus au sommet à ce sujet.
Nous déplorons qu’à ce jour, il n’y ait, dans l’arène politique, aucun débat populaire et démocratique à ce sujet, malgré la publication des projets.
A l’aune de la sanction financière impitoyable que le juge pourrait infliger au citoyen qui risquerait de se trouver en situation d’infraction, deux questions s’imposent quant au rôle du Code pénal.
Primo, de par la crainte d’une déconfiture totale qu’il inspire, le projet de Code n’est-il pas plutôt un code imposant l’obéissance au citoyen plutôt que d’être le garant de la liberté de chacun dans la Cité?
Secundo, ce projet a-t-il été conçu par des maltôtiers?
Bruxelles, le 19 août 2019
Thomas DE NYS
Avocat associé
Contact : thomas.denys@skynet.be